Un site dédié à la poésie...
la sensualité...la tendresse...
La vie profonde
Être dans la nature ainsi qu'un arbre humain,
Etendre ses désirs comme un profond feuillage,
Et sentir, par la nuit paisible et par l'orage,
La sève universelle affluer dans ses mains !
Vivre, avoir les rayons du soleil sur la face,
Boire le sel ardent des embruns et des pleurs,
Et goûter chaudement la joie et la douleur
Qui font une buée humaine dans l'espace !
Sentir, dans son coeur vif, l'air, le feu et le sang
Tourbillonner ainsi que le vent sur la terre ;
S'élever au réel et pencher au mystère,
Être le jour qui monte et l'ombre qui descend.
Comme du pourpre soir aux couleurs de cerise,
Laisser du coeur vermeil couler la flamme et l'eau,
Et comme l'aube claire appuyée au coteau
Avoir l'âme qui rêve, au bord du monde assise...
Anna de Noailles (1876-1933)
Louis Aragon (1897-1982)
Dieu mon plaisir que je te touche
M'en soit le sentir plus qu'humain
Que ne suis-je sur ton chemin
Le blé que ton pied courbe et couche
Ô prendre ta main dans ma main
Déjà les mots rient dans ta bouche
Dieu mon plaisir que je te touche
L'amour caché
Mon âme a son secret, ma vie a son mystère
Un amour éternel en un moment conçu :
Le mal est sans espoir, aussi j'ai du le taire,
Et celle qui l'a fait n'en a jamais rien su.
Hélas! j'aurai passé près d'elle inaperçu,
Toujours à ses cotés et pourtant solitaire ;
Et j'aurai jusqu'au bout fait mon temps sur la terre,
N'osant rien demander et n'ayant rien reçu.
Pour elle, quoique Dieu l'ait faite douce et tendre,
Elle suit son chemin, distraite et sans entendre
Ce murmure d'amour élevé sur ses pas.
À l'austère devoir pieusement fidèle,
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d'elle :
" Quelle est donc cette femme ? " Et ne comprendra pas !
Félix Arvers (1806-1850)
François de MALHERBE (1555-1628)
Beauté, mon beau souci, de qui l'âme incertaine
A, comme l'océan, son flux et son reflux,
Pensez de vous résoudre à soulager ma peine,
Ou je me vais résoudre à ne la souffrir plus.
Vos yeux ont des appas que j'aime et que je prise.
Et qui peuvent beaucoup dessus ma liberté :
Mais pour me retenir, s'ils font cas de ma prise,
Il leur faut de l'amour autant que de beauté.
Quand je pense être au point que cela s'accomplisse
Quelque excuse toujours en empêche l'effet;
C'est la toile sans fin de la femme d'Ulysse,
Dont l'ouvrage du soir au matin se défait.
Madame, avisez-y, vous perdez votre gloire
De me l'avoir promis et vous rire de moi.
S'il ne vous en souvient, vous manquez de mémoire
Et s'îl vous en souvient, vous n'avez point de foi.
J'avais toujours fait compte, aimant chose si haute,
De ne m'en séparer qu'avecque le trépas
S'il arrive autrement ce sera votre faute,
De faire des serments et ne les tenir pas.
(Dessein de quitter une dame qui ne le contentait que de promesse)
François Coppée (1842-1908)
Septembre au ciel léger...
Septembre au ciel léger taché de cerfs-volants
Est favorable à la flânerie à pas lents,
Par la rue, en sortant de chez la femme aimée,
Après un tendre adieu dont l'âme est parfumée.
Pour moi, je crois toujours l'aimer mieux et bien plus
Dans ce mois-ci, car c'est l'époque où je lui plus.
L'après-midi, je vais souvent la voir en fraude ;
Et, quand j'ai dû quitter la chambre étroite et chaude
Après avoir promis de bientôt revenir,
Je m'en vais devant moi, distrait. Le Souvenir
Me fait monter au coeur ses effluves heureuses ;
Et de mes vêtements et de mes mains fiévreuses
Se dégage un arôme exquis et capiteux,
Dont je suis à la fois trop fier et trop honteux
Pour en bien définir la volupté profonde,
- Quelque chose comme une odeur qui serait blonde.
Marceline Desbordes-Valmore (1786-1859)
«Vous aviez mon coeur,
Moi, j'avais le vôtre :
Un coeur pour un coeur ;
Bonheur pour bonheur !
Le vôtre est rendu ;
Je n'en ai plus d'autre,
Le vôtre est rendu
Le mien est perdu.
La feuille et la fleur
Et le fruit lui-même,
La feuille et la fleur,
L'encens, la couleur :
Qu'en avez-vous fait,
Mon maître suprême ?
Qu'en avez-vous fait,
De ce doux bienfait ?
Comme un pauvre enfant,
Quitté par sa mère,
Comme un pauvre enfant,
Que rien ne défend :
Vous me laissez là,
Dans ma vie amère ;
Vous me laissez là,
Et Dieu voit cela !
Savez-vous qu'un jour,
L'homme est seul au monde ?
Savez-vous qu'un jour,
Il revoit l'amour ?
Vous appellerez,
Sans qu'on vous réponde,
Vous appellerez ;
Et vous songerez !...
Vous viendrez rêvant.
Sonner à ma porte ;
Ami comme avant,
Vous viendrez rêvant.
Et l'on vous dira :
"Personne... elle est morte."
On vous le dira :
Mais, qui vous plaindra !»
Qu'en avez-vous fait ?
LÉGENDE
Va dire à ma chère Ile, là-bas, tout là-bas,
Près de cet obscur marais de Foulc, dans la lande,
Que je viendrai vers elle ce soir, qu'elle attende,
Qu'au lever de la lune elle entendra mon pas.
Tu la trouveras baignant ses pieds sous les rouches,
Les cheveux dénoués, les yeux clos à demi,
Et naïve, tenant une main sur la bouche,
Pour ne pas réveiller les oiseaux endormis.
Car les marais sont tout embués de légende,
Comme le ciel que l'on découvre dans ses yeux,
Quand ils boivent la bonne lune sur la lande
Ou les vents tristes qui dévalent des Hauts-Lieux.
Dis-lui que j'ai passé des aubes merveilleuses
A guetter les oiseaux qui revenaient du nord,
Si près d'elle, étendue à mes pieds et frileuse
Comme une petite sauvagine qui dort.
Dis-lui que nous voici vers la fin de septembre,
Que les hivers sont durs dans ces pays perdus,
Que devant la croisée ouverte de ma chambre,
De grands fouillis de fleurs sont toujours répandus.
Annonce-moi comme un prophète, comme un prince,
Comme le fils d'un roi d'au-delà de la mer;
Dis-lui que les parfums inondent mes provinces
Et que les Hauts-Pays ne souffrent pas l'hiver.
Dis-lui que les balcons ici seront fleuris,
Qu'elle se baignera dans les étangs sans fièvre,
Mais que je voudrais voir dans ses yeux assombris
Le sauvage secret qui se meurt sur ses lèvres,
L'énigme d'un regard de pure transparence
Et qui brille parfois du fascinant éclair
Des grands initiés aux jeux de connaissance
Et des couleurs du large, sous les cieux déserts...
Patrice de La Tour du Pin